En 1932, Électro Câble a déposé le bilan des suites de la crise de 1929 et de mauvaises spéculations sur le cours du cuivre. Mon père qui travaillait dans cette entreprise depuis plus d’une dizaine d’années a été licencié avec quatre-vingts autres ingénieurs. Il a cherché une situation pendant plusieurs mois. Nous avons failli partir pour Le Caire et finalement atterri en 1933 au… Havre.
 
Exilés au Havre ! Un drame pour nous qui étions parisiens, qui sortions avec les parents et les cousins qui habitaient également à Paris et… y restaient. Mais nous nous y sommes fait… Papa a pris la direction de la Compagnie des tramways du Havre. Poste qu’il a occupé jusqu’à la fermeture de la société exploitante survenue quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le 4 juin 1951, dans l'indifférence la plus complète, le dernier tramway est rentré au dépôt après une ultime course, mettant fin à soixante-dix-sept années de bons et loyaux services. Autant que la concurrence des modes routiers de transport, la guerre avait conduit à la suppression du tramway. Ironie de l’histoire : depuis 2012, il circule à nouveau au Havre.
 
Je n’ai pas beaucoup de souvenirs au Havre et de la vie que nous y menions. Je n’y suis restée que sept ans. Arrivée à huit ans, j’ai quitté la ville à quinze ans en 1940. Pour ne plus y revenir. Les premières années, mes parents ont loué un appartement. Ils ont ensuite acheté une très belle maison en bord de mer. Puis, ils ont à nouveau déménagé pour s’installer un peu plus loin du centre. Ils y sont restés jusqu’aux dernières années de leur vie avant de se retirer à Paris dans l’appartement familial du 88 bis boulevard de Port-Royal.
 
Au Havre, par bonheur, mes parents se sont rapidement faits des amis dans le milieu militaire. Avant la Seconde Guerre, un régiment d’infanterie y tenait alors garnison. Arrivée en classe de huitième, j’ai fréquenté avec mes sœurs le lycée public alors que Guy était lui inscrit à Saint-Joseph. La famille n’avait pas de moyens importants et Maman estimait qu’il valait mieux privilégier les études de son unique garçon. D’ailleurs, nos parents ne “poussaient” pas scolairement les trois sœurs. Nous étions encore d’une génération où la priorité pour une jeune fille était d’abord d’être prête pour le mariage et pour devenir mère de famille. Ayant suivi l’enseignement particulier du collège Sévigné à Paris, je suis retrouvée en décalage par rapport aux autres élèves. Si je savais lire et écrire depuis un an, mon niveau scolaire était globalement moins bon. Notamment en orthographe (…).