La cuisine de Mister Quirke

 

(…) Dominic Quirke est-il… a “quirk” (bizarrerie en français) du métier ? Assurément. Son accent n’est pas celui d‘un ressortissant d’une nation qui a bâti sa réputation sur la gastronomie. Et pendant des années, recettes, couteaux et fourchettes n’ont pas été ses préoccupations premières. Avant d’être aux fourneaux du Pickles, un joli établissement à la façade jaune, ce British, originaire de Newcastle où il fut serveur six ans pour régler la note de ses études, a été quatorze ans consultant en informatique. À Londres puis à Paris chez Capgemini. Un cadre pressé nourri à la pause-déjeuner au plateau-repas ou au sandwich pour retrouver encore plus vite la souris de son ordinateur.

 

En 2001, sa mutation en France sera le sésame pour une seconde vie. Quoi de plus naturel lorsqu’on s’installe dans un pays que de chercher à s’approprier ses atouts ? La cuisine par exemple. Le soir, le jeune trentenaire apprécie le plaisir d’imaginer et de partager recettes perso et bons petits plats. Une passion gourmande qu’un stage de trois jours chez Ferrandi, le Harvard de la gastronomie française, confirme.

 

En 2007, il prend sa décision. Adieu les PC, à moi la table française. Bénéficiant auprès de son employeur du Congé individuel de formation, il s’offre en guise d’entrée un CAP de cuisine dans un centre de formation. Le plat de résistance sera plus coriace : une séparation à l’amiable avec Capgemini accompagnée d’une fastidieuse recherche de stages en épluchant les guides gastronomiques de la capitale. Des cuisines restent fermées, quelques unes réputées, comme le Chateaubriand ou encore le Senderens, place de la Madeleine, offrent leur expérience au nouvel apprenti. Il finit par décrocher une place chez Gilles Choukroun. Ce chef original qui tient table rue du Débarcadère dans le XVIIe  propose une cuisine tout en épices.

 

Sans doute-a-t-elle inspiré le futur propriétaire du Pickles qui en 2011, souhaitant quitter Paris, emménage avec épouse – une Ch’ti – et leurs deux enfants à Nantes, finalement préférée à Rennes ou Bordeaux. Il s’aguerrit pendant un an chez Vertigo, apprécie d’être à moins d’une heure des produits qu’il aime travailler et surtout murit son projet. L’année suivante, sur les conseils de sa femme qui “jobbe” dans la formation continue pour adultes, il fait appel au crowdfunding, une mode de financement alors innovant. Quelques milliers d’euros ainsi récoltés et une quinzaine de mois plus tard, le Pickles ouvre. « Si l’objectif avait toujours été de créer ma propre affaire, j’ai su me donner quelques années pour trouver et apprendre à connaître les produits de la terre et de la mer, d’ici et d’ailleurs. Le produit a toujours été ma référence. Je reste convaincu de l’importance de bien connaître la source pour m’assurer d’avoir toujours une matière première de qualité », souligne-t-il en enfilant son tablier noir après avoir rangé son vélo avec lequel il circule dans les rues de Nantes.

 

Effectivement. Parlez-lui d’une viande, d’un vin, d’un poisson ou d’un fromage, Dominic Quirke vous fera tout… un plat sur ses origines avant d’évoquer la manière dont il le cuisine ou l’accompagne. Dans la salle sobre et aérée du Pickles – du nom de ces conserves au vinaigre popularisées par le cornichon – capable d’accueillir une quarantaine de couverts et qui affiche souvent complet, ces produits frais achetés en Loire-Atlantique, Vendée, Ille-et-Vilaine ou sur le marché de Talensac ont toute leur place. « Chaque jour, en faisant mes courses, je découvre un peu plus combien les Français, à la différence des Anglais, entretiennent un rapport passionné avec les produits de leur terroir ».

 

En les associant souvent et en de justes proportions ses trouvailles à des épices exotiques, cet autodidacte audacieux a conquis en trois ans nombre de papilles nantaises. La saveur de ses créations, leur originalité et une addition douce lui ont rapidement valu d’être remarqué par le Gault et Millau. « À 47 ans, j’ai reçu… le prix Jeune Talent 2016, sourit-il. Cette reconversion réussie, jamais je n’aurais pu l’imaginer en Grande Bretagne. Merci à la France pour ses lois sociales et ses dispositifs d’accompagnement ».

 

Ces plats qui varient selon la saison et les arrivages – « sinon on s’ennuie en cuisine » – sont aussi chaleureux que leurs intitulés. Mi-octobre, la carte proposait même… un fromage british. L’aventure est au Pickles, on vous le dit !