De Paris et un peu d’ailleurs
(...) Longtemps, j’ai pensé que j’étais parisienne. Une vraie. Native et originaire de la capitale ou de ses environs proches. Et puis un jour, bien après ma naissance, j’étais déjà une jeune femme, Comme beaucoup d’entre nous, j’ai pris conscience que j'étais aussi un peu d’ailleurs. De province.
Une recherche d’héritiers menée par un généalogiste à la demande d’un notaire à la suite du décès d’un frère de ma mère handicapé et célibataire, en a été le révélateur. J’ai découvert que ma mère, d’origine alsacienne, était issue d’une famille nombreuse. Que j’avais une tartine d’oncles et de tantes, de cousins et de cousines. Je ne les avais jamais vus. Mais ils existaient. Je n’étais pas que de la capitale.
Charlotte P…. , c’était son nom de jeune fille, était née allemande - à la suite de la défaite de 1870 et de l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine - à Mulhouse dans le Haut-Rhin, le 2 novembre 1912. Deux ans avant que n’éclate la première guerre mondiale. Que faisaient ses parents ? Je ne sais pas. Pourquoi était- elle montée à Paris où elle s’est mariée ? Je l’ignore également.
Ça ne transparaît pas sur les rares photos que j’ai conservées d’elle. Ma mère était aussi spéciale que violente. J’en reparlerai. Lorsque j’étais enfant, elle n’a jamais cru bon, ni voulu, me parler de sa famille et de ses attaches. Si ce n’est un soi-disant demi-frère américain dont elle conservait une photo.
Un beau gars dont - racontait-elle - elle avait fait la connaissance en 1944 après le débarquement des troupes alliées. Selon elle, ce demi-frère, originaire de Philadelphie, était le fruit d’une liaison de son père avec une Américaine lorsqu'il avait émigré aux Etats-Unis. Vrai ou faux ? Toujours est-il que l’existence de ce demi-frère ne figure sur aucun papier de famille.
Ma mère avait un très fort accent alsacien allemand qu’elle n’a jamais abandonné. Il ne laissait aucun doute sur ses origines. Notamment au téléphone, elle pouvait difficilement cacher qu’elle venait de cet est de la France, occupé pendant les premières années de sa vie par les Allemands. Elle nous parlait souvent en allemand. Une langue qu’enfant, je maîtrisais un peu. Car dans les premières années de la guerre, j’avais, je ne sais pourquoi ni où exactement, été hébergée en Alsace. Probablement dans ma famille maternelle, mais je ne peux l’affirmer.
Quand mon père, prisonnier de guerre, a été libéré, il n’a pas supporté, je le comprends, que ma mère continue à s’adresser à ses enfants en allemand. Elle a repris le français. Elle avait appris seule cette langue qui n’était ni celle de ses parents ni la sienne, avec courage et une grande ténacité, je le reconnais volontiers, en s’aidant du dictionnaire.
En osmose avec ma grand-mère
H…, mon père, était parisien. Il avait vu le jour dans le XIe arrondissement le 6 mai 190.. Sa mère venait d’un village de la Mayenne. C…. S…. - son nom de jeune fille - était née à L. P…, le 6 septembre 186.. Je ne sais pas ce qui l’avait menée à Paris.
Y était elle venue déjà mère de famille ? Était-elle déjà mariée avec un Monsieur L… dont j’ignore le métier ? Veuve très tôt, mère de deux autres fils décédés rapidement, j’ai toujours ignoré dans quelles circonstances, ma grand-mère - la seule que j’ai connue - a élevé toute seule mon père.
Je l’adorais. C’était une brave femme. Une vraie grand-mère. Concierge d’un immeuble à Vincennes, elle avait pour elle d’être une excellente couturière. Ce qui lui permettait de compléter ses maigres ressources. Á l’époque, il n’y avait pas d’assistanat comme aujourd’hui…
Les locataires de l’immeuble dont elle avait été la gardienne, l’appréciaient énormément. Jusqu’à 88 ans, ils ont continué à lui donner des travaux de couture qui lui assuraient un revenu complémentaire, gagné par son seul travail. Ma grand-mère était une personne fière. En aucun cas, elle n’aurait accepté de l’argent autrement.
A la retraite depuis déjà plusieurs années, elle était restée à Vincennes et avait emménagé dans un petit appartement. Un matin, des voisins avec qui elle partageait les toilettes, l’ont découverte inanimée. Elle ne voulait plus vivre. Elle se laissait mourir de faim. Elle a été transportée en urgence à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Lors de mes visites, elle me disait en riant : « il me gave comme une oie ! ».
Lorsqu’elle était encore chez elle, j’étais déjà la seule à la voir régulièrement. Mon père ne passait qu’une fois par mois. Le jour où elle recevait sa pension… Il en prélevait une grande partie avant de filer jouer aux courses où il perdait beaucoup plus qu’il ne gagnait même s’il se targuait d’avoir toujours de bons tuyaux.
Ma grand-mère n’était pas dupe. Du coup, elle n’acceptait jamais rien de mon père si par hasard il lui apportait quelque chose. Ce qui était rare. Elle ne voulait recevoir de gâteries que de moi.
Ma mère qui n’était vraiment pas diplomate, ne se déplaçait chez elle que pour lui reprocher les mauvais comportements de son fils. La malheureuse n’en était pas responsable et en souffrait déjà suffisamment.
Ma grand-mère et moi étions en osmose. Avec le temps, je regrette de ne pas l’avoir côtoyée plus souvent. Nous habitions à Fontenay-sous-Bois. Elle demeurait à Vincennes. Ça faisait une trotte. Nous allions chez elle à pied. Enfant, je ne pouvais pas faire le trajet seule. J’accompagnais parfois mon père qui ne s’y rendait qu’intéressé.
C’est à l’hôpital Saint-Antoine, dans les dernières semaines de sa vie, que je l’ai la plus fréquentée. Je culpabilise encore de lui avoir promis un jeudi que je passerai l’embrasser le vendredi après le travail.
J’avais alors un petit copain - enfin une amourette de l’époque - qui, ce soir là, m’a proposé de dîner avec des amis. Sans penser à mal, j’ai fait le mauvais choix. Je suis sortie avec eux.
Je sais que ma grand-mère a dû m’attendre. Le lendemain, elle était décédée. Un samedi d’octobre 1957. Elle avait 90 ans. 56 ans après, je ne me pardonne toujours pas d’avoir décliné ma visite.
Voilà pourquoi je me sens d’abord parisienne mais pas uniquement. J’ai vu le jour dans le XIVe arrondissement à l’hôpital Baudelocque le 24 juin 193.. Mes parents avaient neuf ans de différence. 36 et 27 à ma naissance. Ils habitaient déjà Fontenay-sous-Bois.
Mon père, au tout début de leur mariage, était plongeur dans un restaurant. La guerre déclarée, il a été mobilisé et fait prisonnier en Allemagne. Souffrant de dysenterie, il a été rapatrié trois ans plus tard.
Dès cette époque, je n’ai eu que peu de contacts ni d’estime pour lui. Ce fut d’ailleurs réciproque. Certes, sa femme était épouvantable. Il a eu du courage de partager pendant 19 ans sa vie avec elle mais aussi de la lâcheté (….).