1. Sous le soleil de Casablanca

(...) 18 avril 1931. Ce samedi, Casablanca est sous le soleil. En ce début de printemps, la chaleur n’est pas trop accablante. Croisée des destins ? La presse locale salue en bas de page Mermoz et Paillard. Fin mars, les deux aviateurs français ont battu à Oran La Sénia (Algérie) le record du monde en circuit fermé sur l’avion Bernard GR80. En un peu moins de soixante heures – 59 heures et 14 minutes très exactement –, ils ont parcouru huit mille neuf cent soixante kilomètres. Et depuis quelques jours, les deux héros que l’on découvre photographiés à côté de leur Oiseau Tango, sont à Casablanca.

Leur exploit date déjà. Non, ce qui fait les manchettes des journaux du soir, c’est l’inauguration quelques heures auparavant du monument élevé à la mémoire de J…., pionnier du tourisme africain, décédé brusquement moins de trois ans auparavant d’une congestion pulmonaire à l’âge de 63 ans. Cet hommage agite la ville marocaine depuis le début de la semaine. Il a motivé le déplacement depuis la France de nombreuses personnalités dont Gaston Gérard, le sous-secrétaire d’État au Travaux Publics et au Tourisme.

Remis à la ville de Casablanca, le monument dévoilé est un buste d’un sobre réalisme, dû au ciseau du sculpteur Bourdin. Il repose sur un socle de marbre rose bordé de plusieurs palmiers nains. L’architecte de l’ensemble est un certain M. Gourdain. Son emplacement ne doit rien au hasard. Il a été érigé face au port, boulevard du 4e-Zouaves (aujourd’hui boulevard Houphouët-Boigny). Les bateaux, la mer, l’Afrique du Nord : trois passions qui ont conduit la vie de J…. et assuré sa réputation bien au-delà de la France et de ses colonies.

Pas étonnant que la Ligue Maritime et Coloniale française soit à l’origine de la souscription lancée quelques mois auparavant pour sa réalisation. Les dons qui ont afflué rapidement témoignent de l’importance du visionnaire et du capitaine d’industrie que le Maroc honore ce jour-là. Les énumérer tous serait fastidieux. Citons simplement : le Comité France-Amérique, la Compagnie Générale Transatlantique, la Banque de l’Algérie, la Société des Voyages et Hôtels Nord-Africains, la Résidence Générale de France au Maroc, les Chantiers et Ateliers de Penhoët, la Société anonyme des Armateurs Français… Initialement prévue en mars, l’inauguration a été retardée d’un mois. Les travaux parlementaires en cours n’ayant alors par permis au gouvernement d’être représenté par l’un de ses membres.

Ces souscripteurs ont délégué un ou plusieurs de leurs dirigeants. Ils ne sont pas les seuls. Dès le début de la matinée, sous la surveillance bon enfant du service d’ordre, des milliers d’anonymes, surgis des rues adjacentes, ont convergé vers la “Canebière” de Casablanca. Tous veulent voir, assister, suivre la cérémonie. À 10 h, ils se pressent le long des barrières qui les séparent des tribunes officielles dans lesquelles s’installent progressivement invités et personnalités du monde politique, touristique et maritime (...).