Mes chers parents,

Je profite d’une heure où je suis de quart, de nuit, pour vous écrire. Depuis la dernière lettre, on est toujours dans la même opération mais statique cette fois-ci. Nous avons quitté il y a huit jours les villages d’où je vous avais envoyé ma dernière lettre. Nous sommes maintenant dans un autre secteur. Nous avons trouvé quelques villages mais aucun d’eux n’était piégé et miné comme les précédents.

Nous avons enfin fait quelque chose de payant car nous sommes restés cinq jours dans le même patelin en le cernant et en étant à la fois au milieu  (...) Depuis, je n’arrête pas de travailler du lever jusqu’au coucher. On m’amène sans arrêt des prisonniers. J’en ai vu et interrogé environ cent cinquante et je dois dire que le bataillon s’est bien défendu puisque dans le lot j’ai trouvé deux vice-présidents d’UBKC (comité d’organisation communiste pour une région donnée), un président d’UBKC, un officier de détail d’un bataillon vietminh, des chefs Do Kid (résistants populaires) (...)


Ils ont une nouvelle tactique : pour nous faire partir, ils mettent le feu aux “canas” du village : cela leur sert de propagande car ils disent aux populations que c’est nous qui l’avons fait. Le stylo avec lequel je vous écris est un Parker 53, récupéré sur un vice-président UBKC. J’ai trouvé aussi un membre du comité de résistance, un percepteur d’impôts, avec quatre-vingt mille piastres Ho Chi Minh (vingt mille francs). C’est vraiment un pays coriace (…) Nous avons, et j’ai, reçu, les félicitations du deuxième bureau d’Hanoï. Tous ces gens-là étaient cachés dans des trous et souterrains du village. La plupart ont été pris en essayant de se sauver de jour. Quand ils essaient la nuit, certains passent mais la plupart se font descendre. Cela tire de partout la nuit. Heureusement, ils laissent leurs armes dans leur trou ou dans les mares. Les autres sont trouvés quand on découvre, le plus souvent par hasard, un souterrain. Ceux trouvés les premiers jours sont sortis facilement (...) On découvre aussi dans ces trous des hommes et des femmes complètement trempés, mourant de faim et dégageant une odeur épouvantable et, surtout, qui ne disent pas grand-chose car ce sont des fanatiques.