Fondée en 1886 à Grenoble, L’Institution des Charmilles compte aujourd’hui cinq établissements de l’école maternelle à Bac +5. Ancrée dans le paysage pédagogique Grenoblois, elle accueille mille
-deux-cents élèves et étudiants, dont sept-cent-cinquante en formation professionnelle par l’alternance. Depuis bientôt cent-cinquante ans, son ambition demeure la même : accompagner chaque jeune sur son propre chemin d’excellence. Ce fil rouge est associé à un nom, celui d’Ernestine Provin, sa fondatrice.
Née en 1862 au cœur d’un Grenoble populaire où la pratique religieuse est forte, orpheline de sa mère, Ernestine connaît une scolarité trop courte chez les sœurs de la Providence. Poursuivre des études n’est pas le destin des enfants issus du milieu ouvrier. Dès l’âge de sept ans, après la classe, elle travaille à domicile ; à douze ans, elle est embauchée dans une première ganterie, puis dans une seconde. À l’époque, il y en a plus d’une centaine dans la capitale du Dauphiné. Une expérience désastreuse : « Je me trouvais, confiera-t-elle plus tard, au milieu d’ouvrières perdues de mœurs. Je dus entendre leurs mauvaises conversations. Au bout d’une demi-journée, j’étais remplie d’horreur, de dégoût, de peur et de désespoir. » Mais comment les aider ? Elle l’ignore encore. Dans l’immédiat, elle préfère changer à nouveau d’emploi en installant un métier à piquer des gants chez elle. Quatre ans plus tard, elle accepte une place de contremaîtresse dans un atelier qui compte plus de cent ouvrières.
Ernestine approche des vingt ans. Elle s’interroge. Quel sens donner à sa vie ? Elle écarte un prétendant juste avant le mariage et fait vœu de chasteté. Ernestine embrasserait volontiers une vocation de religieuse car elle est très pieuse depuis son plus jeune âge et proche de la Vierge Marie. Cependant, sa voie est ailleurs. Elle la découvre par hasard. Début 1886, un père demande à la catéchiste, qu’elle est depuis peu, de s’occuper de son enfant – qu’il ne veut pas confier à un orphelinat – « pour en faire une honnête fille et une bonne ouvrière. » Joséphine Bonnet, douze ans, est sa première élève. Ce 14 février 1886, même si la fondatrice l’ignore encore, l’Institution des Charmilles vient de naître. En acceptant chez elle Joséphine, et bientôt deux, puis trois enfants, Ernestine a fixé les bases de sa vocation et de sa mission qui la mobilisera nuit et jour pendant trois décennies : accueillir les adolescentes en péril, les prendre en charge matériellement et moralement, leur donner une formation professionnelle.
Se donner les moyens de former non pas quelques, mais de nombreux élèves est un autre défi. “S’en remettant à la Providence” comme elle l’écrit, elle persuade des entrepreneurs locaux. Les religieuses Trinitaires offrent quelques lits. Une cuisinière est recrutée. Un emprunt règle les travaux de modernisation de l’appartement de la place Saint-Laurent où elle s’installe.
Confidentiellement, l’Œuvre – c’est la terminologie d’alors – trace son sillon. En1894, quoique pas toujours bien conseillée et victime de jalousies qui mettent cette récente institution en danger, Ernestine a déjà en charge sept jeunes filles. En cousant, les aînées assurent le quotidien car le nombre de bouches à nourrir augmente rapidement. À l’étroit, l’Œuvre doit déménager sur les flancs du Rabot, au pied des contreforts de la Chartreuse, un des massifs montagneux qui entourent la ville. Dans la maison mise à disposition par l’évêché, Ernestine fonde une école primaire et ouvre des patronages.
En 1898, un “bienfaiteur” lui propose la Villa-Hélène à Saint-Égrève. Ernestine hésite : Grenoble est loin, elle ignore tout de la campagne et, surtout, des investissements importants sont nécessaires. Elle se laisse convaincre. Ses ouvrières deviennent fermières. Promoteur du projet, le père Charrier veut que la production de la ferme assure la subsistance des protégées d’Ernestine. Il ordonne des aménagements hasardeux. On creuse des cressonnières, on acquiert des vaches, on dessine des bassins, etc. Si pour les pensionnaires le lieu est enchanteur, pour Ernestine c’est un gouffre financier alors que l’établissement accueille désormais une centaine d’enfants et jeunes filles.
Revenir à Grenoble est urgent. Quartier de la Capuche, la propriété des Charmilles est à vendre : six hectares flanqués d’un château abandonné ; les religieuses de Notre-Dame de La Salette en ont été expulsées en 1902 en application de la loi sur les Congrégations. Des travaux conséquents étant à prévoir, le prix n’est pas onéreux. Ernestine achète. La Villa-Hélène ne sera plus qu’une école primaire.
Survient la Grande Guerre. Les commandes s’effondrent. Mais les dons ne faiblissent pas et l’Œuvre se maintient en confectionnant non plus des gants mais des chemises et des caleçons longs pour les soldats. La paix à peine revenue, un autre orage s’abat sur Les Charmilles : la grippe espagnole. Elle emporte d’abord les enfants. Début février 1919, Ernestine est à son tour alitée. Elle meurt le 12, à cinquante-sept ans. La veille, le pape Benoit XV lui a envoyé la bénédiction apostolique. Une page se tourne avec beaucoup d’émotion pour celles et ceux qui ont connu Ernestine.