À Château-Landon, l’instruction se poursuit sur le même rythme jusqu’au 31 décembre 1948. La première permission est fixée au 1er janvier 1949. Une unique et courte journée. Une semaine auparavant, je passe la nuit de Noël dans les fauteuils des invités de prestige à l’Opéra de Paris. Dans l’après-midi du 24, un incendie s’est déclaré du côté de la scène. Les jeunes recrues sont chargées d’assurer la surveillance en s’éparpillant un peu partout dans la salle. J’ai hérité des bonnes places…

Le 2 janvier, c’est la douche froide. L’effectif du groupe d’instruction étant jugé trop important, décision est prise de le scinder en deux. La moitié part finir sa période à Saint-Maur-des-Fossés. J’en suis. Cette commune de la banlieue est de Paris est bien plus grande que Canteleu. Elle compte soixante-quinze mille habitants. Mais qu’elle me paraît triste et morne en cet hiver 1948-1949.

Les Saint-Mauriens sont rares dans les rues de cette ville-dortoir. D’architecture quelconque, la caserne est encore moins accueillante que celle d’où j’arrive. Ma À Château-Landon, l’instruction se poursuit sur le même rythme jusqu’au 31 décembre 1948. La première permission est fixée au 1er janvier 1949. Une unique et courte journée. Une semaine auparavant, je passe la nuit de Noël dans les fauteuils des invités de prestige à l’Opéra de Paris. Dans l’après-midi du 24, un incendie s’est déclaré du côté de la scène. Les jeunes recrues sont chargées d’assurer la surveillance en s’éparpillant un peu partout dans la salle. J’ai hérité des bonnes places…

Notre groupe est un échantillon assez riche de la France profonde de l’époque. Banlieusards, provinciaux… les personnalités sont différentes, les possibilités physiques et intellectuelles très échelonnées. Ainsi pour le camarade Cloarec tous les exercices sont des supplices. Chez lui, la raideur bataille quotidiennement avec l’incapacité mentale… Question : n’y-t-il pas eu une erreur de casting lors de la sélection ? Pourquoi l’avoir préféré au champion de gymnastique originaire des Landes, au caractère très éveillé ? Parce que le premier dépassait de quelques centimètres la taille minimale d’un mètre soixante et pas le second ? Une aberration.

Cloarec n’est pas le seul Breton de la compagnie. Il y a aussi Le Nir. Trapu, ce solide gaillard a la figure caractéristique d’un cosaque avec ses pommettes saillantes. Franc, sympathique, il est de ceux sur lesquels je peux compter. Si les quelques Ch’ti ont la réputation d’être “rigolards” et attachants, la philosophie n’est pas leur préoccupation première. Ce qui n’a d’ailleurs qu’une importance relative : pourquoi parler philo à un soldat du feu ? Le seconde classe Calasnivès débarque lui de Nice. Il aime faire la fête et se révèle paresseux, fatigué dès le matin. De cette période, date ma méfiance, bien sûr exagérée, que je nourris pour les gens du sud. Et pourtant je n’ai alors pas encore lu ce que Van Gogh écrit à son frère à propos des gens de la “maison jaune” d’Arles : « Ils sont paresseux et insouciants (…) d’une désinvolture insipide et d’une négligence sordide. »

À Saint-Maur-des-Fossés, l’instruction diffère peu de celle de Château-Landon. Il est cependant aisé de reconnaître un sapeur “ en instruction” (de la “bleusaille”) d’un “ancien”. Le premier n’a pas le droit de traverser la cour en marchant. Il doit impérativement se déplacer en allure de “course”. Il ne va pas plus vite mais c’est l’allure qui compte.

Plus d’importance est donnée à l’athlétisme et au footing. Ce qui me convient tout à fait. Les copains n’ont pas intérêt à essayer de me dépasser. Je mène le peloton et c’est perdu d’avance pour celui qui, se prenant trop au sérieux, s’avise de me faire concurrence. Saint-Maur n’a pas de piscine et quand il n’y a pas de bassins disponibles ailleurs, la Marne nous… “accueille”. En janvier, brasse et plongée rafraîchissent et vivifient. Un bon “investissement”. Soixante ans après, je mesurerai encore le besoin du contact avec l’eau, de me sentir plus léger et de bénéficier d’amélioration sur mon arthrose après une bonne heure de natation.

Au début du printemps, l’instruction s’achève. Rassemblement en tenue de sortie impeccable pour écouter le classement de la promotion. Tout le monde s’attend à ce que je domine nettement... C’est une évidence ! Un long silence. Le caporal en charge de nous lire la liste n’a pas l’air au courant. Il va demander au sergent-chef s’il n’y a pas une erreur. Il revient en haussant les épaule. Son sapeur de référence pendant toute l’instruction est coiffé par Le Nir. Il a l’air étonné. Mais… la discipline faisant la force, je ne suis que second. Ma déception est forte. Mon amour-propre en prend un sacré coup. Cette injustice flagrante est une claque. Quelques instructeurs me confient leur étonnement. Ce ne sont pas eux qui ont établi ce “palmarès”. Beaucoup de copains ne l’admettent pas non plus. Il y a comme une gêne dans l’air. Même Le Nir vient presque s’excuser. Lui aussi ne comprend pas. De vive voix, il trouve cela « pas normal. » Assez vite, j’en souris. Est-ce très important ? C’est une leçon. Il faudra en tenir compte. Le Nir que je félicite en lui jurant que je n’ai aucune animosité contre lui, a le bon profil.

Quelques jours après je compris ce qui s’était passé. Le classement officiel définitif était établi par le sergent instructeur et un officier. Parmi tous les documents, ils disposaient d’une fiche remplie récemment concernant nos souhaits : “Que désirez-vous faire après l’instruction ?” À la question, « Êtes-vous volontaire pour suivre le peloton de caporal ? », j’avais répondu « Non ». Et demandé mon transfert à la C.H.R. (Compagnie Hors Rang). C’est-à-dire dans les bureaux de l’état-major de la porte de Champerret… de manière à faire d’autres choses à Paris. Bien entendu ce refus n’était pas compatible avec une place de major ; c’était un dédain… un mépris à une situation de gradé. Ce qu’ils étaient.