Fidèle Francis


(....) Francis, un jeune Togolais, venu du Nigéria afin de gagner un peu d'argent pour sa famille restée au pays, m'est présenté peu après mon installation à Ikeja (près de l'aéroport de Lagos). Je cherche quelqu'un pour s'occuper de ma maison.

Pouvant le loger gratuitement dans le Boy’squatter, situé dans mon arrière-jardin et que j’ai fait rénover, je lui propose cent nairas par mois. Ses précédents patrons ne le payaient que soixante nairas et retenaient de cette somme son loyer. De suite, j’ai compris que je pouvais lui faire confiance. Il ne me décevra pas. Lors de mon installation au Nigéria, une amie s’installe pour quelques mois chez moi. Francis apprend grâce à elle plusieurs recettes. Ainsi, je peux inviter mes collègues et leur proposer l’un des meilleurs couscous de Lagos. Francis retient tout. Avec le livre de cuisine que je lui ai offert, il perfectionne son français (sic).

C’était un bushman et il m’avait avoué qu’avant de venir au Nigéria, il ignorait ni ne savait se servir d’une cuillère ou d’une fourchette… Francis s’est adapté et j’ai été particulièrement heureux de le garder pendant tout mon séjour. Mes collègues me disaient naïf de croire en son absolue honnêteté. Ils avaient tort.

Mi-juillet, mon voisin, le beau père de Susan dont je reparlerai, m’informe que pendant ses deux mois de vacances, il souhaite que j’aie un œil sur son jardin et sa maison dont il me confie un double des clefs. Je lui donne mon accord en lui précisant que je pars moi-même un mois en août. Je propose que Francis qui reste sur place prenne le relais.

En rentrant de congés, Francis m’assure qu’il n’y a eu aucun problème. Deux semaines après, le voisin revient à son tour. Je le rassure. Trois jours plus tard, mon Francis passe après le dîner, avec un billet de vingt nairas, trouvé dans le jardin de Suzan en son absence.

— « Francis, tu n’as plus qu’à aller le lui rendre.

Il revient au bout de quelques minutes.

— C’est fait ?

— Oui Monsieur.

— Il t’a remercié ?

— Oui Monsieur.

— Il t’a donné quelque chose?

— Non Monsieur ».

J’ai sorti un billet de dix nairas; pour le remercier de son honnêteté. J’avais pleinement raison d’y croire.

L’année suivante, un jeune ingénieur, nouvellement embauché par la société, arrive au Nigéria avec sa femme. Ils me sont sympathiques. Nous étions à la veille des vacances d’août. Je m’apprêtais à regagner la France. En attendant que leur maison soit repeinte et meublée, je leur propose d’habiter dans ma villa, plus confortable qu’une simple chambre à la Guest house de la société.

Enchantés de la proposition, ils acceptent. Ils n’ont que Francis à payer. Demeurant sur place, il pouvait les aider. En rentrant, début septembre, je constate que tout s’est bien passé. Leur maison n’étant prête que dans quelques jours. Je leur propose de rester. Je m’installe dans la chambre d’amis. Me voici invité chez moi.

En rentrant d’une visite en forêt, je passe devant chez moi. Ayant soif, après toute une matinée au soleil, je souhaite me rafraîchir avant de rejoindre le bureau. La jeune femme me sert une bière et me raconte son aventure du matin.

— « Pierre, tu ne sais pas ce qui est arrivé ?

— Si tu ne me le dis pas …

— En sortant de la cuisine, j’ai vu un singe dans le salon !

— Un singe ? Et qu’as-tu fait ?

— J’ai essayé de le chasser en claquant mes mains.

— Et alors ?

— Il a montré les dents. J’ai pris peur et me suis enfermée dans la cuisine.

— Vu tes mimiques, il s’agit sans doute d’un grand singe. Un Babouin peut-être. Comment cela s’est terminé ?

— Je suis sortie au bout de dix minutes. Je n’entendais plus rien. Il était parti, et j’ai fermé toutes les portes et fenêtres ».

Pour moi, l’incident était terminé. J’en étais la seule victime. Le singe avait du emporter ma petite voiture Tonga. Achetée à l’aéroport, je la destinais à mon fils. Je ne l’ai jamais retrouvée. Reparti au bureau, je reviens le soir, avec son époux. Elle lui raconte l’histoire. Pris par le boulot, je ne lui en avais pas parlé pendant la journée. Somme toute, ce n’était qu’une parenthèse amusante. Sans plus.

Le mari réagit d’une manière inattendue. Sa femme était enceinte depuis peu, ce que j’ignorais. Les morsures des grands singes pouvaient être dangereuses. Il appelle Francis en haussant la voix ; lequel arrive dans la minute, sur ses gardes, effrayé du ton peu amical de mon collègue.

— « Oui, Monsieur ?

— Il y a des singes dans le quartier ?

Francis blêmit, balbutie et finit par lâcher :

— Ben... il y a ma mère et mon frère ! »

Du temps des colons et de l’esclavage les noirs étaient appelés les “singes” en Afrique francophone. Je comprends alors la méprise et je regarde  mon ami. Il n’y en a pas de quoi en faire un fromage. Et nous voilà parti dans un fou rire incontrôlable.

Ressaisi, je prie Francis de nous pardonner. Nous n’avons jamais pensé à sa Maman en parlant de singe. Cela ne se reproduira pas. Il peut utiliser son logement comme bon lui semble, inviter sa famille… Je souhaitais la connaître. Mais elle n’a jamais osé me déranger. J’ai dû aller chez elle (...).