Voyageur depuis toujours, mon père n’aimait que trop raconter ses périples mais aussi les aventures de ceux qui lèvent l’ancre. À commencer par le plus célèbre d’entre eux : Ulysse. Doté d’une solide formation classique – il maitrisait le grec et le latin –, il s’était passionné pour le long voyage du héros d’Homère.

 

Et dès mon enfance, j’ai été bercé par la mer, les navigateurs… Après le dîner, à l’heure du coucher, mon père qui était d’un esprit plus protestant que catholique préférait s’attarder sur les histoires de corsaires, de pirates, de l’Odyssée plutôt que de prolonger la prière du soir.

 

J’étais émerveillé par Ulysse. Sa jeunesse à Ithaque, le cheval de Troie, ses dix années d’errance en Méditerranée, sa lutte contre le cyclope Polyphème fils de Poséidon, sa rencontre avec la nymphe Calypso, ses démêlées avec les sirènes du détroit de Messine, son retour dans son archipel des îles ioniennes accueilli par son chien Argos, sa femme Pénélope, son fils Télémaque, sa mort tragique… Ce récit épique me fascinait. Plus que l’histoire de Jésus pénétrant dans Jérusalem, peu avant son arrestation, modestement assis sur un âne.

 

Mon père était aussi un navigateur averti. Très tôt, comme plusieurs de mes six frères et sœurs j’ai été son équipier, découvert les îles la côte bretonne, appris à faire un point, lire une carte, prendre un ris, border un foc, anticiper une mauvaise vague…

 

Il m’a transmis à jamais cet amour de la mer, des embruns qui vous lessivent, du vent qui gonfle les voiles, des longues courses de nuit, de l’odeur de la marée au petit matin dans un port bigouden.

Cette soif ne m’a jamais quitté.