Enfance, apprentissage, école, guerre… Écrit en février 2016, ce livret est l’évocation des souvenirs de jeunesse de plusieurs résidents d’un établissement accueillant des personnes âgées à Saint-Nazaire. Pour l’essentiel, ces récits, témoignages d’une époque encore bien présente dans la mémoire collective, ont pour cadre Saint-Nazaire et ses environs, Nantes, la Bretagne… Extrait d'un des témoignages :
En quittant les bancs de l’école Carnot, j’ai reçu une récompense – la première ! – de mon père et ma mère. Une culotte longue pour travailler aux Chantiers comme apprenti ! On ne devenait pas apprenti avec la perspective de faire carrière aux Chantiers comme cela. Il fallait d’abord passer avec succès un examen probatoire. Je m’y suis présenté dès que j’ai eu quatorze ans, en 1936, en plein Front populaire. Cent places étaient proposées. Nul en orthographe, j’ai été reçu parce que j’ai (un peu) copié sur mon voisin. Lequel a également été admis. Comme quoi, il y a une justice pour tous…
La première année, le jeune apprenti passait quatre mois dans trois ateliers différents : chaudronnerie, ajustage et bois. Selon son classement, il choisissait sa spécialité à l’entrée de la seconde année. Les meilleurs optaient pour la chaudronnerie cuivre. C’est ce que j’ai fait. Le cuivre étant réputé plus dangereux à travailler que la ferraille en raison des émanations, nous étions mieux payés que les copains. Après trois années d’apprentissage, j’ai été reçu à mon CAP en mai 1939. J’avais dix-sept ans. Autant que je me rappelle, je percevais alors cent francs tous les quinze jours. Mais je n’ai réellement commencé à travailler dans le service génie civil qu’en août ou septembre. Car il n’y avait pas de boulot. Triste vérité, les Chantiers attendaient la déclaration de guerre pour avoir des commandes.
Malheur. Moins de dix mois plus tard, le 20 juin 1940, les forces allemandes occupaient Saint-Nazaire. L’activité est à nouveau retombée. Dans ma division, nous n’avons bientôt travaillé qu’une semaine sur trois. À la différence de Brest ou Toulon, Saint-Nazaire n’avait jamais été un port militaire. Il l’est devenu à partir de 1941 à l’initiative de l’Occupant qui a lancé la construction de la base sous-marine. La ville et le port ont alors rapidement été la cible de l’aviation alliée, paralysant encore un peu plus l’activité des Chantiers. Ado, j’ai bien sûr été marqué par la présence des Allemands. Il nous arrivait de les défier par des chansons. Comme celle-ci qu’avec des copains du quartier ou des Chantiers, nous entonnions dans les rues de Saint-Nazaire : La Bretagne aux Bretons/L’Allemagne aux Teutons/Nous gardons nos bruyères, nos rondes, nos ajoncs/Gonflez-vous de vos bières et de vos saucissons.